« Affluenza » organization


La nouvelle est tombée comme un couperet. La BDL a osé clôturer (ou geler) une centaine de comptes bancaires liés au Hezbollah pour que le système financier libanais soit en harmonie avec les dispositions du Hezbollah International Financing Prevention Act of 2015 (H.R. 2297 ; S.1617), notamment avec la section 102 de son titre premier (« Prévention d'accès du Hezbollah aux institutions financières internationales et autres institutions »). Cette loi a été promulguée, le 18 décembre dernier, par le président Obama, suite à son adoption par le Congrès américain (à l'unanimité au Sénat, le 18 nov. 2015 ; par une majorité de 425-0 à la Chambre des représentants, le 16 déc. 2015). Afin de ne pas être exclues du système financier international, certaines banques libanaises auraient clôturé des comptes de la même nature également, et ce sans même attendre le résultat d'une vérification préalable obligatoire par la Commission d'enquête spéciale, organisme créé en 2001 (loi n° 318/2001) pour lutter contre le blanchiment d'argent au Liban. OMG! Le Hezbollah, fleuron des organisations paramilitaires transnationales, qui souffle le chaud et le froid au Liban et au-delà de l'au-delà du Liban, n'est-il plus au-delà des lois ? Non mais, où va le monde ?

Le gouverneur de la BDL ignorerait-il la jurisprudence « affluenza » qui a défrayé la chronique et causé un grand débat au pays de l'Oncle Sam ?

Il s'agit d'un richissime adolescent américain, Ethan Couch, qui, conduisant en état d'ébriété le 15 juin 2013, faucha un groupe de piétons avant de percuter un véhicule, faisant 4 morts et 9 blessés graves. Encourant 20 ans de prison, Couch n'a finalement écopé que d'une simple ordonnance de soins psychiatriques et une mise à l'épreuve pendant 10 ans. En effet, ses avocats, se basant sur l'expertise du psychologue G. Dick Miller, ont plaidé que Couch souffrait d'« affluenza » (néologisme : affluence + influenza), ou de « l'insatisfaction des gens qui ont tout ». En d'autres termes, ils ont réussi à soutenir que Couch était tellement gâté et privilégié, en l'occurrence de par son aisance financière, qu'il ne pouvait pas se rendre compte des conséquences de ses actes, et qu'il se croyait ainsi au-dessus des lois.

Un peu à l'instar de cet «affluenza teen » – tel que surnommé par les médias américains –, le Hezbollah ne serait-il pas une « affluenza organization » ? Il faut l'excuser. N'est-il pas le chouchou de l'État libanais qui essaie de coexister avec lui sans trop le gêner ? N'est-il pas privilégié au point de se croire juridiquement intouchable, quelle que soit la nature de ses actes? Ne bénéficie-t-il pas avec ses ayants droit, « les gens les plus honorables », et ses zones de non-droit, d'une immunité juridique de facto au Liban? L'État libanais ne lui permet-il pas de violer son monopole de la force armée ? Ne jouit-il pas d'une totale impunité quand il organise, à partir du 7 mai 2008, une excursion militaire sur le territoire national ; ou lorsqu'il déchire la déclaration de Baabda et se contrefiche royalement d'avoir la moindre autorisation de l'État libanais pour participer à un conflit armé sur une territoire étranger ; ou s'il canonise et refuse de livrer à la justice ses membres accusés par le TSL d'avoir participé à l'assassinat d'un ancien Premier ministre; ou même quand il bloque les institutions du pays ou une élection présidentielle ?

Afin de ne pas trop importuner le Hezbollah, le gouvernement libanais ne s'est-il pas abstenu de voter, à deux reprises, les décisions condamnant les attaques contre l'ambassade de l'Arabie saoudite en Iran en janvier dernier, mettant ainsi en péril les intérêts stratégiques et économiques du Liban avec son entourage régional ? Ce même gouvernement n'a-t-il pas refusé de soutenir la décision de la Ligue arabe proclamant, le 11 mars 2015, le Hezbollah groupe terroriste ? Les adversaires politiques du Hezb au Liban ne sont-ils pas en train de se mettre en quatre pour se plier à ses désirs ? N'ont-ils pas fait éclater ce qui restait de la coalition du 14 Mars en rivalisant entre eux pour soutenir les candidats de son camp à la présidence de la République

Parallèlement, l'administration américaine actuelle n'a-t-elle pas, elle-même, dans une de ses moult poussées d'hypocrisie, fermé l'œil sur l'intervention du Hezb en Syrie en soutien au dictateur – qui n'hésite pas à le remercier publiquement-, alors même qu'elle refuse, jusqu'à présent, ne serait-ce que d'établir une zone d'exclusion aérienne pour recueillir les civils et les protéger des affres du conflit ? Cette administration ne fournit-elle pas une couverture aérienne directe aux plus proches alliés confessionnels du Hezb pendant leurs opérations en Irak, alors même qu'ils commettent des crimes de guerre dans certaines localités ?

Bref, comme Ethan Couch, le Hezbollah, aussi, est habitué à être bien gâté, à bénéficier d'un traitement de faveur, à avoir tout ce qu'il veut. Lois, restrictions, sanctions effectives, tout cela est bien nouveau pour lui. Le tollé médiatique dans les milieux du Hezb contre les dernières décisions de la BDL le prouve. Alors pourquoi ne pourrait-il pas bénéficier, lui aussi, de l'indulgence de l'aberrante jurisprudence « affluenza » ? Un peu de clémence s'il vous plaît, messieurs dames les banquiers !



NB : il en va sans dire que l'applicabilité de la jurisprudence « affluenza » au Hezbollah n'est qu'une métaphore juridico-politique. Elle appartient beaucoup moins au monde de la procédure judiciaire aux États-Unis qu'à celui des procédés littéraires et des figures de style au Moyen-Orient. La satire et l'ironie (du sort), c'est peut-être tout ce qui nous reste dans cette partie du monde défigurée par des stratégies de chaos généralisé, sans aucun style.

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