Tu m'as appris



Texte paru dans L'Orient- Le Jour du 04/01/2017, p. 5.

Tu m'as appris que les larmes drainent souvent une tristesse qui tue
Qu'un sourire trahit parfois une douleur tue
Que n'est pas nécessairement mauvais celui qui ment
Qu'un compliment est souvent le meilleur des arguments
Qu'une fleur séchée dans un livre l'inonde de souvenirs
Que l'oreiller d'un expatrié est hanté par le rêve de revenir
Que les draps souillés le sont souvent par la pureté sincère de l'amour
Qu'ils restent propres quand la crasse du fiel s'installe entre deux vautours
Qu'il est temps de partir quand un baiser sonne creux au creux d'un cou
Qu'il faut semer l'avenir lorsqu'un regard irrigue les veines d'une joue 
Que la plus précieuse des amitiés se grave dans le bois d'un pupitre
Que la créativité se gave dans l'esprit d'un petit pitre
Que les plus beaux yeux sont ceux qui nous regardent depuis toujours de la même façon
Que les balbutiements d'un cœur secrètement prisonnier peuvent payer sa rançon
Qu'un bonjour, même hésitant, peut crever l'abcès
Que tu es digne d'être vécue dans tous tes excès
Que tu as le goût d'un café amer, adouci au nectar d'une lèvre
Qu'avec ton chaos gigantesque, tu as l'adresse d'un orfèvre
Que les rides sont les plus belles de tes empreintes
Que la passion est la plus habile de tes feintes
Que c'est sur un arbre qu'on fait nos plus beaux tatouages
Que parfois tu nous délaisses comme des galets sur un rivage
Que toute perte, aussi grande soit-elle, n'est que relative
Que tout fleuve ne peut longtemps déborder de ses rives
Qu'il n'est jamais trop tard pour sauter dans ton train
Que pour un chômeur, rien ne manque de plus que ton train-train
Que rien ne vaut la fierté d'un front luisant et qui suinte
Que les fronts de la haine tiennent un discours puant l'absinthe
Que surfant sur les peurs, le populisme est la planche de tous les abus
Qu'accro aux concessions, un Premier ministre doit fracasser le calice qu'il a bu
Que rien n'arrêtera un réfugié fuyant la misère : ni l'humiliation ni les murs érigés en frontières
Qu'accueillante, la mer immortalise le bruit des vacances
Que pour les migrants, elle les noie dans le silence de l'arrogance
Que rien n'est plus cher pour un peuple que sa liberté
Que finit toujours par tomber tout tyran entêté
Que les mots démolissent la confiance qu'on construit
Que seuls les mots réparent l'esprit que le fer a détruit
Que malgré ta routine, tu nous laisseras toujours sur le cul
Que grâce à ton talent, tu démasqueras toujours les faux- culs
Que lorsque nous te haïssons le plus, tu nous amadoues par tous tes bonus
Qu'ouverte à nos « hayété », « meine Liebe » ou « ma puce », tu englobes toute la diversité de nos us
Qu'il est trop facile de se replier dans le manichéisme aigri et rance 
Qu'il faut du courage pour savourer la complexité de tes infinies nuances
Que tu es la plus chère de toutes les raretés
Que tes contradictions font ton immensité
Que tu puises ta richesse dans la différence de tes teints
Que Freud avait raison : tu es la plus forte des deux instincts
Que face à l'horreur et la mort qui rodent, le nid de ton souffle incessamment tu brodes
Que tu nous emportes dans le tourbillon de tes hauts et tes bas
Que tu es toujours le plus important des combats
Que parfois tu es un professeur vraiment très dur
Que tes leçons sont toujours une véritable cure
Que tu es souvent un roman inachevé
Que le jour de gloire finira par arriver
Que tu passes entre deux mains qui se frôlent pour la première fois 
Que tu jaillis du premier cri d'un enfant qui pleure d'effroi
Que tu es un air de Brassens gonflant ses poumons à l'air de Sète
Que tu nous enchanteras encore davantage en deux mille dix-sept
Que, comme le dit Malraux, tu ne vaux rien mais rien ne te vaut
Que, comme l'affirme Sartre, tu es un perpétuel renouveau.

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