Un bruit assourdissant plane sur la scène. Le bruit du
bavardage et de la tempête avant le silence. A l’ère des nanotechnologies, des
réseaux asociaux et de la post- vérité, une belle brochette de mini- figurants
éparpillés çà et là. Des mini- Doctor Evil entourés, pour bien flatter leur
ego, de leurs mini- me. Aux 4 coins de la scène, des tribunes où des mini-
Hitler et des mini- Staline, tout fraîchement sortis de l’histoire, viennent
reléguer aux oubliettes de l’histoire les trois tomes sur les Origines du
totalitarisme de Hannah Arendt.
Un peu d’anachronismes pour assaisonner. A gauche de la
scène, la mini- maquette d’un mini- califat en guise d’un remake raté d’une
gloire historique mythifiée. En face, une mini- transposition, en 2017, de la
rhétorique ayant précédé le concile de Clermont au Moyen- Age (1095). Entre
les deux, des mini- colonies (très) sauvages.
Un peu de réalité augmentée. Des images tournent en
boucle. Celles de mini- randonnées bon enfant pris par des politiciens chez un
dictateur sanguinaire pour faire l’éloge de sa « laïcité » très
falsifiée. Celles de mini- randonnées bon enfant au bord de l’Euphrate pris,
dans le territoire occupé par une organisation terroriste, par des futurs
« revenants » qui réaliseront, souvent trop tard, la chance qu’ils
avaient de vivre dans une démocratie qui respecte les Droits de l’homme.
Et, tant qu’on y est, un mini- 1933. Des slogans ouvertement
xénophobes. Des figurants- politiciens professant que le salut contre le
terrorisme jihadiste ne peut découler de solutions politico- sociales qu’ils
sont censés eux- mêmes mettre en oeuvre, mais que ce salut doit venir des
méandres d’institutions religieuses souvent réactionnaires et béni oui oui,
celles- là même qu’ils disent, à juste titre, vouloir écarter du jeu politique,
au nom de la laïcité. Des figurants- intellectuels n’ayant rien trouvé de mieux
comme solution au takfirisme que de demander à l’institution religieuse
d’excommunier les excommunicateurs que sont les takfiristes, c’est- à- dire de
légitimer indirectement leur logique et leur mentalité.
Dans un mini- coin de la scène, survolé par une mini-
mouette, une mini- banderole indique: « plata o plomo ». Des
mini- Pablo Escobar, mais dépourvus de son intelligence et de son charisme,
imposent leur loi par l’enlèvement et la séquestration. Des sourires de
circonstances atténuantes. Des affiches de films interdits. Des mini- phrases
assassines, juste ce qu’il faut pour bien transpirer la haine et se moquer des
victimes du terrorisme, tués dans une boite de nuit ; ou pour faire son
apologie.
Un paysage d’outre- tombes où des auteurs s’érigent en
prophètes de malheur (dés)espérant écrire, jusqu’après leur mort, la chronique
de la mort annoncée d’une langue (très) vivante comme l’arabe; où des
anti- poètes ont mis la beauté de leur verbe au service de la laideur de leurs
idées ; où les Docteurs Frankenstein de la philologie ont essayé de
transformer les lettres, ces formidables unités du pluralisme et de
l’ouverture, en instruments de haine et en fiasques du racisme où vieillirait
le philtre de leur repli identitaire. Tout le fard de leur verbiage pseudo-
intellectuel avec lequel ils croyaient, de leur vivant, pouvoir contourner
l’impartialité et l’honnêteté scientifiques, ne peut suffire pour masquer la
mocheté de leurs propos ou en dissimuler la véritable motivation.
Au milieu de la scène, Gargantua et Pantagruel, en gros
consommateurs, admirent la canne de Bernarda Alba. Une canne recollée,
ressoudée, bien réparée, plantée dans la chair de la scène, imposante, flambant
neuf, luisant de nouveau l’autoritarisme, la censure, l’inquisition, la
répression, la « moraline » (comme disait Nietzsche) revancharde, le
paternalisme décomplexé, la phallocratie, la domination et l’omniprésence de la
tyrannie.
En arrière- scène, le mur hanté par les complaintes gitanes où fut
fusillé, deux mois plus tard, au début de la guerre civile espagnole en 1936,
Federico Garcia Lorca. On y lit un nouveau tag anonyme: « Rien ne
s'éloigne de la dictature plus que la démocratie (représentative). Rien ne
s'approche de la dictature plus que la démocratie (directe). Le populisme,
ou l'expression formellement démocratique de l'anti- démocratisme substantiel.
Le populisme, ou comment un peuple scie lui- même la branche sur laquelle il
est confortablement assis. Voici tout le paradoxe démocratique ».
Le scénario commence et se prolonge seulement par la
réplique finale de Bernarda Alba. « Silence ! (…) Taisez- vous j’ai
dit ! (…) Nous plongerons tou(te)s dans un océan de deuil ! (…) Vous
m’avez entendue ? Silence, silence, j’ai dit. Silence ! »
La pièce se termine par les vœux d’un poète, un vrai, Pablo
Neruda, dans J’avoue que j’ai vécu : « Je veux vivre dans un pays où
il n’y a pas d’excommuniés. Je veux vivre dans un monde où les êtres seront
seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une
règle, par un mot, par une étiquette. Je veux qu’on puisse entrer dans toutes
les églises, dans toutes les imprimeries. Je veux qu’on n’attende plus jamais
personne à la porte d’un hôtel de ville pour l’arrêter, pour l’expulser. Je
veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie. Je ne veux plus que
quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos. Je veux
que l’immense majorité, la seule majorité : tout le monde puisse parler, lire,
écouter, s’épanouir ».
Rideau.
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