Drama queen c./ Echec et mat


On nous annonce à la télé, on nous attend à la télé, on s’impatiente à la télé ; nous passons enfin à la télé, nous parlons à la télé, nous lisons à la télé, nous rouspétons à la télé, nous menaçons à la télé, nous démissionnons à la télé ; nous disons que oh la la, que assez, que ce n’est plus possible, que nous n’en pouvons plus, que trop c’est trop, que les gouttes de sang ont finalement fait déborder le vase de la patience ; que nous allons riposter, que nous allons couper des mains, que nous n’allons plus nous taire, que nous n’allons plus accepter la mainmise, sur l’Etat, d’un Etat dans l’Etat ; qu’avant la démission, c’était avant la démission ; qu’après la démission, ce ne sera plus du tout la même chose.

Ils refusent nos accusations. Ils déclarent que la démission est le résultat d’une « recommandation sioniste ». Ils continuent à tracer sûrement leur chemin.

Nous sommes séquestrés, non, nous ne le sommes pas ; nous nous taisons, non, nous ne nous taisons pas ; nous ne disons rien pendant plusieurs jours, non allez, tweetons quelques lignes ; les gens s’inquiètent, nous faisons un saut aux Emirats ; les gens s’inquiètent, nous allons voir le Roi ; les gens s’inquiètent, de nouveau, on nous annonce à la télé, on nous attend à la télé, on s’impatiente à la télé ; nous passons à la télé, nous lisons à la télé, nous parlons à la télé, nous sommes émus à la télé, nous sanglotons à la télé ; ambiance de violons romantiques, ton sentimental, affectueux, déprimé, anxieux, angoissé, faiblard, plus calme, plus pacifique, plus conciliant.

Ils confirment que nous serions détenus contre notre gré et qu’ils attendent notre retour au pays.

Nous nions, nous nous indignons, nous refusons de telles accusations, nous tweetons de nouveau, nous recevons des ambassadeurs ; on annonce que nous allons prendre l’avion, on guette notre avion, on nous attend à Paris, on s’impatiente à Paris, nous partons pour Paris, nous arrivons à Paris, nous sommes reçus à Paris, nous sommes  photographiés à Paris, nous sourions enfin à Paris ; nous retournons dans l’avion, nous voyageons dans l’avion, nous allons au Caire, nous arrivons au Caire, nous sommes reçus au Caire, nous sommes  photographiés au Caire, nous sourions au Caire ; nous retournons dans l’avion, nous voyageons dans l’avion, nous passons par Chypre, nous arrivons à Chypre, nous sommes reçus à Chypre, nous sommes  photographiés à Chypre, nous sourions à Chypre ; nous retournons dans l’avion, nous voyageons dans l’avion, nous allons au Liban, nous arrivons au Liban, nous sommes  photographiés au Liban, nous sourions au Liban.

Ils sont satisfaits.

Direction le centre- ville, nous visitons le tombeau et, le lendemain, direction le centre- ville de nouveau, nous assistons à la cérémonie de l’indépendance, avant de prendre le chemin du Palais présidentiel où nous déclarons que nous calmons le jeu, que nous mettons notre démission en suspens pour négocier, pour trouver un compromis, pour déguiser notre faiblesse en sagesse ; puis, de nouveau, direction le centre- ville où on nous annonce au balcon, on guette le balcon, on nous attend au balcon, on s’impatiente au balcon, nous sortons au balcon, nous saluons du balcon, nous sourions du balcon, nous remercions du balcon, nous parlons du balcon, nous descendons du balcon, nous prenons un bain de foule sous le balcon.

Ils déclarent que l’arsenal de l’Etat dans l’Etat est non négociable.

Nous accusons nos anciens alliés d’être des traîtres, nous taxons nos rivaux de populisme, d'être irresponsables, de vouloir troubler l'ordre public, de vouloir revenir aux heures sombres de la guerre civile ; en même temps nous déclarons que l’Etat dans l’Etat a des armes, certes, mais qu’il ne les utilise pas sur le sol national.

Sur cet échiquier régional qui mêle le national, à l'ethnique, au confessionnel, nous et nos alliés dansons comme des amateurs, nous gesticulons avec impulsivité dans tous les sens, sans plan, sans stratégie, sans vision.

Sur cet échiquier régional, eux et leurs alliés avancent leurs pions avec une grande assurance et une efficacité incomparable. Ville après ville, pays après pays, bataille après bataille, ils mettent les touches finales à la formation de leur croissant et la réalisation de leur rêve d’empire.

Sur cet échiquier, nous jouons très maladroitement.
Sur cet échiquier, ils sont désormais les maîtres incontestés du jeu.

Sur cet échiquier, pour défendre notre roi, nous ne savons toujours faire que notre drama queen.
Sur cet échiquier, ils sourient tendrement en nous disant, dans leur langue : « Echec et mat ».

Divers.



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