َArticle publié sur Mediapart le 28 Juillet 2021.
Dans la vie des Etats, certaines dates sont surévaluées quant à leur importance, alors que d’autres, plus déterminantes dans le cours de l’histoire d’un pays, sont sous- évaluées et reléguées au second plan.
Il en va ainsi, en France, du 11 Juillet 1940, date qui marque le début de l’apparition d’un certain fascisme en France, avec la mort de la IIIe République et l’instauration, par le Maréchal Pétain, du régime de Vichy ayant collaboré avec l’occupation nazie.
Mais qui, en France, connait la date du 6 Février 1934, lorsqu’une manifestation antiparlementaire fut organisée, à Paris, devant la Chambre des députés par des groupes de droite, des associations d'anciens combattants et des ligues d’extrême droite pour protester contre le limogeage du préfet de police Jean Chiappe à la suite de l'affaire Stavisky ?
Rares sont les personnes qui savent que le 6 Février 1934 fut la date marquant le vrai début du triomphe du fascisme en France (qui se concrétisa de façon plus systémique, plus tard, les 10 et 11 Juillet 1940), avec une émeute violente sur la place de la Concorde, faisant plusieurs morts et plus de 2000 blessés. Fascisme qui fut finalement vaincu, en France, à partir de 1944.
Il en va ainsi, aussi, au Liban, du 13 Avril 1975, date largement retenue comme marquant le début de la guerre civile libanaise, lorsque des activistes appartenant aux Phalanges libanaises (Kataëb) ouvrirent le feu sur un bus de manifestants palestiniens à Aïn el Remmeneh, dans la banlieue chrétienne de Beyrouth ; à la suite d’échauffourées, entre les deux camps, ayant précédé la fusillade du soir, et ayant préalablement causé, le matin du même jour, la mort d’un responsable du parti Katëb à la sortie d’une église de la même localité.
En revanche, beaucoup d’historiens considèrent que la guerre libanaise débuta vraiment un mois et demi auparavant, le 26 Février 1975, date à laquelle le leader politique libanais de gauche, Maarouf Saad, fut assassiné. Ce dernier était à la tête d’une manifestation de pêcheurs qui protestaient, à Saïda, au Liban- Sud, contre l’octroi par l’Etat libanais, qui était alors aux mains de la droite libanaise, d’une sorte de concession exclusive à une entreprise privée de pêche, présidée par l’ancien président de la République Camille Chamoun.
Mais il en va aussi, et surtout, du 4 Août 2020. Sauf que la date qui risque de l’éclipser, elle, n’est pas encore arrivée.
Cette nouvelle date hypothétique ne serait que celle qui actera officiellement l’effondrement du Liban, la fin de ce pays comme membre de la communauté internationale, au moins tel qu’on le connait depuis sa création, par le Général Gouraud, le premier Septembre 1920.
Avec le délitement total des institutions de l’Etat libanais, l’état déplorable des services publics - encore faudraient- ils qu'ils existent -, le cours des événements semble indiquer, hélas, que, si le peuple libanais ne se soulève pas une fois pour toutes, cette nouvelle date- fin ne va pas tarder à arriver.
Et les historiens feront alors leurs minutieuses recherches et remonteront au soir du 4 Août 2020 pour le retenir comme véritable date charnière, comme date- métaphore de l’explosion non pas du port de Beyrouth, ni de la Capitale du Liban, mais de tout un pays.
Mais l'impunité n'est pas inéluctable, ni la fin du Liban.
En ce sens, le 4 Août prochain peut et doit constituer pour les Libanais, tous les Libanais, non seulement un jour de deuil national et de commémoration des victimes tombées un an auparavant, et de solidarité avec leurs familles, mais aussi et surtout l’occasion tant attendue pour se soulever contre l’absurdité imposée d’en haut, ainsi que pour mettre fin à l’impunité institutionalisée, arrogante, et insolente qui constitue, à travers les décennies, l’âme et l’armature de la classe dirigeante.
Il est encore temps d'exiger une commission d'enquête internationale pour l'explosion du port de Beyrouth.
Il est encore temps de changer le cours des choses et d’éviter la fin programmée – de façon intentionnelle ou par omission criminelle - par la classe dirigeante, de ce pays.
Il appartient aux Libanais de transformer le 4 Août 2021 en momentum historique afin d'éviter la venue d’une nouvelle date qui éclipsera, par sa gravité au moins apparente, celle du 4 Août 2020.
Pour cela, il serait opportun de faire comprendre à ceux d’en- haut, tous ceux d’en- haut, une fois pour toutes, en noir sur blanc, de façon claire, nette et précise, avec la détermination et les mots (immortalisés dans le film de Paul Greengrass) qu’a prononcés Bernadette Devlin McAliskey - leader du mouvement de droits civiques en Irlande du Nord -, le soir du Bloody Sunday, (30 Janvier 1972) à la suite de la tuerie perpétrée par les parachutistes de l’armée britannique, dans le Bogside de la ville de Derry, contre des manifestants républicains, que:
“I would like just to say this:
on behalf of us, the families of the victims and the victims, that we will not rest until justice is done!”
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