Article publié dans L'Orient- Le Jour du 29/10/2022
L’accord sur la délimitation de la frontière maritime entre
le Liban et Israël a été signé, jeudi dernier sans l’accord préalable du
Parlement libanais – cette signature valant ratification selon les termes de
l’accord –, tranchant ainsi dans les faits le débat juridique qui opposait
notamment l’exécutif à certains députés de l’opposition (Voir L’OLJ du
12/10/2022). Mais ce débat a-t-il été pour autant tranché en droit ? Autrement
dit : s’agit-il d’une ratification imparfaite d’un traité international ?
Même s’ils restent limités et difficiles à mettre en œuvre en pratique, les
enjeux de la question ne sont pas minimes : il en va de la régularité
formelle du consentement du Liban comme partie à l’accord et, par suite, de la
validité internationale de ce texte.
Pour savoir si la ratification de l’accord est imparfaite,
il est nécessaire, au préalable, d’en déterminer la nature juridique :
s’agit-il d’un acte concerté non conventionnel, ou d’un traité international ?
Dans la première hypothèse, celle que soutient le pouvoir en place, l’accord du
Parlement n’est pas requis. Les actes concertés non conventionnels (ACNC) ne
sont pas soumis aux règles constitutionnelles relatives aux engagements
internationaux de l’État. En revanche, dans la seconde hypothèse, « les
traités qui engagent les finances de l’État, les traités de commerce et tous
les traités qui ne peuvent être dénoncés à l’expiration de chaque année ne
peuvent être ratifiés qu’après l’accord de la Chambre des députés »
(article 52 de la Constitution).
Par définition, tout traité a force obligatoire, en ce sens
qu’il « crée à la charge des parties des engagements juridiques ayant
force obligatoire. » (Daillier (P.), Forteau (M.), Pellet (A.), Droit
international public, LGDJ, 2009). A contrario, selon les mêmes auteurs, les
actes concertés non conventionnels, dits aussi « gentelmen’s
agreements » ou « non-binding agreements », peuvent être définis
comme « des instruments issus d’une négociation entre personnes habilitées
à engager l’État ou l’organisation internationale et appelés à encadrer les
relations de ceux-ci, sans pour autant avoir un effet obligatoire ».
En droit international, le non-respect des actes concertés
non conventionnels n’engage pas la responsabilité internationale de leurs
auteurs. Cependant, un ACNC peut avoir force obligatoire pour les États l’ayant
accepté par un acte unilatéral (moyen auquel compte recourir l’exécutif dans
cette hypothèse), soit par la décision d’une organisation internationale.
Alors, quel critère adopter pour savoir s’il s’agit d’un traité ou d’un acte
concerté non conventionnel ?
Critères inopérants
Le droit des traités étant assez peu formaliste, on se
saurait déterminer la nature d’un instrument international à partir de critères
tels que la dénomination ou la forme de l’acte. La Convention de Vienne de 1969
sur le droit des traités (dite « le Traité des traités ») définit le
traité comme « un accord conclu par écrit entre États et régi par le droit
international, (…) et quelle que soit sa dénomination particulière » (art.
2, §1a). Si cette Convention n’est ratifiée ni par le Liban ni par Israël, nombre
de ses dispositions font partie du droit international coutumier et peuvent, à
ce titre, s’appliquer à ces deux États.
La Cour internationale de justice (CIJ) observe en outre
« qu’un accord international peut prendre des formes variées et se
présenter sous des dénominations diverses » (CIJ, Délimitation maritime et
des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, 01/07/1994), et a par
exemple considéré qu’un communiqué pouvait constituer un traité ou un ACNC en
fonction « des termes employés et des circonstances dans lesquelles le
communiqué a été élaboré » (CIJ, Affaire du plateau continental de la mer
Égée, 19/12/1978).
De même, en droit international, l’existence et l’application d’une sanction constitue l’une des conditions de l’efficacité du caractère contraignant d’un traité, non de l’existence même de sa force obligatoire. D’ailleurs, la CIJ affirme clairement qu’en droit international, « l’existence d’obligations dont l’exécution ne peut faire en dernier ressort l’objet d’une procédure judiciaire a toujours constitué la règle plutôt que l’exception », (Affaire du Sud-Ouest africain (2e phase), 18/07/1966).
L’intention des parties
Il ressort de la jurisprudence internationale, qu’afin de
déterminer si un instrument international est contraignant ou pas (notamment pour
savoir s’il s’agit d’un traité ou d’un ACNC), il est nécessaire de scruter
l’intention des parties à cet égard (Cour permanente d’arbitrage, Rhin de fer,
Belgique-Pays-Bas, 24/05/2005).
Ainsi, la CIJ a considéré que même un procès-verbal signé
par les ministres des Affaires étrangères de deux pays et énumérant « les
engagements auxquels les parties ont consenti (…) constitue un accord
international » (Affaire de la délimitation maritime et des questions
territoriales entre Qatar et Bahreïn, 1/07/1994). De même, une déclaration
« telle qu’approuvée et incorporée dans (un) échange de notes (…) a le
statut d’accord international » (Affaire de la frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigeria, 10/10/2002). Le Tribunal international
du droit de la mer (TDM) a également considéré qu’un « compte rendu d’une
commission mixte » constitue un accord international, et donc pas un acte
concerté non conventionnel (TDM, affaire du « Hioshinmaru »,
6/08/2007).
Or il ressort clairement des termes du récent accord sur la
délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël que cet
instrument énumère les différents engagements auxquels les parties ont
consenti. De façon générale, « les parties conviennent que cet accord, y
compris tel que décrit à la section 1 (B), établit une résolution permanente et
équitable de leur différend maritime » (Section 1 (E)). Cet instrument
crée ainsi pour les parties des droits et des obligations en droit
international. Il constitue un accord (traité) international ayant force
obligatoire, et non pas un simple ACNC qui peut être accepté par acte
unilatéral. Par suite, pour être dûment ratifié, cet instrument ne peut
échapper à la procédure prévue par l’art. 52 de la Constitution libanaise.
Ratification imparfaite
La ratification de l’accord ayant été faite sans l’accord
préalable du Parlement, il s’agit donc bien d’une « ratification
imparfaite » d’un traité international.
Reste à savoir dans quelle mesure le non-respect des
dispositions constitutionnelles affecte la régularité (formelle) du
consentement de l’État et entache, ainsi, la validité de son engagement au
niveau international. Sur ce point, la doctrine est divisée. Les auteurs
« dualistes » (soit le courant internationaliste) considèrent que les
irrégularités internes sont inopérantes quant à la validité des traités, tandis
que les « monistes » (courant constitutionnaliste) estiment que les
règles constitutionnelles ont pleine valeur juridique dans l’ordre
international.
En retenant une solution intermédiaire, la Convention de
Vienne de 1969 précitée consacre une approche empirique de compromis qui
accepte le principe de cette invocabilité mais de façon bien restrictive :
« 1. Le fait que le consentement d’un État à être lié par un traité a été
exprimé en violation d’une disposition de son droit interne (…) ne peut être
invoqué par cet État comme viciant son consentement, à moins que cette
violation n’ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne
d’importance fondamentale. 2. Une violation est manifeste si elle est
objectivement évidente pour tout État se comportant en la matière conformément
à la pratique habituelle et de bonne foi. » (art. 46).Dans son arrêt du 10
octobre 2002 précité, la CIJ a précisé la teneur de cet article 46 en considérant
que « les règles relatives au pouvoir de signer des traités au nom d’un
État sont des règles constitutionnelles d’une importance fondamentale ». À
la lumière de cette jurisprudence, la ratification parlementaire préalable
prévue par l’article 52 de la Constitution libanaise semble bien répondre à ce
critère.
Ainsi s’agit-il d’une petite fenêtre bien étroite, la seule probablement, par laquelle un nouveau gouvernement libanais pourrait éventuellement, s’il le souhaite, essayer d’échapper à l’application de l’accord de Naqoura, en invoquant sa ratification imparfaite qui l’entache de nullité relative. Certes, dans cette hypothèse, Israël pourrait opposer qu’il n’était juridiquement tenu de s’informer de toutes les restrictions juridiques prévues par le droit libanais – conformément à la jurisprudence de la CIJ (arrêt précité) –, mais dans ce cas d’espèce, on voit mal comment il pouvait ignorer que la capacité du chef de l’État libanais de signer des traités est restreinte par sa Constitution, et notamment le passage par le Parlement.
D’autant que l’accord israélo-libanais du 17 mai 1983 constitue un précédent en la matière et a été soumis au vote du Parlement – avant que le président Amine Gemayel ne se ravise et refuse de le signer. Par ailleurs, une nullité relative de l’accord actuel supposerait cependant que l’État libanais n’acquiesce pas, entre-temps, à raison de sa conduite (« reconnaissance tacite manifestée par un comportement unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consentement »), à la validité du traité (CIJ, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine, 26 /11/1984). À cet égard, un forage exploratoire dans la zone concernée par l’accord pourrait par exemple être considéré comme un acquiescement tacite.
En somme, l’invocation de la nullité relative pour cause de
ratification imparfaite reste une épée de Damoclès menaçant, quoique
difficilement, la validité de accord ; menace qui pourrait notamment être
maniée – encore faut-il qu’elle le soit habilement – par les forces politiques
locales qui s’opposent encore aux termes du compromis trouvé.
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