Article publié dans L'Orient- Le Jour du 31/12/2014
Il serait comme un
billet de dix mille livres trouvé dans la poche d'un ancien pantalon.
Comme pour un mélomane de l'amour, la symphonie des talons. Comme pour cet ado
en quête de virilité, une fine moustache qui se trace. Comme pour une mère
esseulée, l'appel de son fils épris d'une ambition vorace. Comme un regard
familier au milieu de la foule à l'aéroport. Comme un patron obtus qui admet,
pour une fois, son tort. Comme pour un élève après le sport, l'eau au fond de
sa gourde. Comme le mensonge blanc qu'on balance pour rattraper une bourde.
Comme une insulte qui se brise sur le sourire d'un destinataire indifférent.
Comme un compliment sincère qui achève un long différend. Comme pour des
civils, un obus les visant qui rate sa cible. Comme la pénombre du ciné qui
noie deux timidités trop visibles.
Il serait comme Aragon qui trempe sa plume dans les yeux d'Elsa. Comme Dali qui
fait jaillir son talent par le corps de Gala. Comme pour le cendrier délaissé
par un vapoteur, le mégot brûlant d'une cigarette. Comme pour le fiancé qui se
brûle le cœur, celle qui se fait désirer à coups de « arrête ! ».
Comme pour une tasse de café amer, la douceur d'un rouge à lèvres. Comme pour
un ministre désemparé, sa démission d'un gouvernement mièvre. Comme pour un
collant agonisant, une tache de vernis. Comme pour le génie de Van Gogh, les
paysages de Giverny. Comme pour la tête alourdie d'une femme, le duvet bouclé
d'une poitrine. Comme pour un inspecteur de police, une erreur de Jacques
Mesrine. Comme après une violente rupture, son odeur dans le vide d'un coussin.
Comme pour des mateurs désœuvrés, celle qui dandine sa chute de reins. Comme ce
train désaffecté qui attend toujours son heure sur la rame. Comme pour un
populiste, le récit de tous ces complots qui se trament.
Il serait comme pour un célibataire endurci, un bas roulé au bas de son lit.
Comme pour celle qui tremble sous les bombardements, son enfant traumatisé qui
sourit. Comme pour un amant clandestin, l'annulaire libéré de sa dulcinée.
Comme pour une épouse patiente, un mari qui revient à leurs dîners. Comme
contre un puritain, un décolleté qui s'écrase dans le métro. Comme une glace
léchée à l'ombre caniculaire d'un bistro. Comme la laïcité de Jaurès contre l'intolérance
d'un laïcard. Comme pour une chaloupe perdue, la lumière lointaine d'un phare.
Comme pour un poète sans inspiration, une idée originale. Comme son nom sur une
liste d'admission que déniche un visage pâle. Comme devant ce tribun de la
haine, le micro dégoûté qui le lâche. Comme la dignité d'un soldat en captivité
lâché par tant de lâches. Comme pour cet hipster arrêté, la preuve qu'il n'est
qu'un barbu de selfies. Comme pour Israël, la folie meurtrière entre mollahs et
salafis.
Il serait comme dans l'asphyxie d'une prison, un songe de vagues. Comme pour
une langue de bois, une formule vague. Comme sur un passeport vierge s'étend
majestueusement un visa. Comme après la Révolution, la Restauration aux yeux du
marquisat. Comme pour la victime des « aa'belik », l'oreiller qui
boit son amertume. Comme pour un matin mélancolique, le café qui dissipe sa
brume. Comme pour l'enfant réfugié, les châteaux du sable mouillé de sa tente.
Comme pour un pays d'accueil, les éclaircies contre le racisme qui le tente. Comme
sur la poutre d'un chantier, des bottes qui transpirent une journée de labeur.
Comme devant une vitrine, Cosette qui contemple un peu de pain et de beurre.
Comme pour le portable d'un chômeur, un appel qui le sort de sa longue veille.
Comme pour un électeur aigri, un conte qui lui promet monts et merveilles.
Comme pour les commerçants de la peur, l'or du « grand
remplacement ». Comme pour celui qui se shoote à la Bourse, l'opportunité
d'un bon placement. Comme pour un malade déprimé, les résultats d'une guérison.
Comme pour la mémoire de nos martyrs, nos chaînes que nous brisons. Comme un
petit encouragement sur une copie pleine de rouge. Comme dans un ventre jugé
infertile, une âme enfin qui bouge.
Il serait partout, dans les miettes, dans les riens. Tantôt comme une fausse
note rappelant au virtuose qu'il est surtout humain. Parfois réaliste, souvent
illusoire. Année après année, il marque pourtant son territoire. C'est lui qui
nous permet de tenir et d'avancer quand tout le reste foire. Nous ne sommes, en
vérité, que des mendiants d'espoir.
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